Seul
Petites merveilles II
Seul
Seul, m’éloignant du port et de son mirage
Je te laissai là-bas, assise au milieu d’une flaque
Les entrailles d’un poisson mort donnaient à ton visage
Un air de fête, de ceux qui montent du cloaque
Quand les fées ombrées et grasses de la nuit
Raclent leur gorge rauque et leurs poumons noirs
Avant de se mouvoir pathétiques vers le tombeau de leur lit.
Seul, j’entraînai ma honteuse joie vers l’ogre d’un soir.
Grisée par les vapeurs auréolant ma tête
Prise dans les mâchoires de l'étau
Je voyais ma vie couronnée d'épines et d'arêtes
Dans ce miroir que me tendait ton eau.
J'ajustai timidement le bout de chair qui me servait de jupon
Les écailles cousues par tes soins, des paillettes au bout de ta main.
Tu avais maquillé mes yeux de poussière de paillasson,
De poudre blanche, la lisière de mes lèvres carmin.
Un soufflet d'accordéon m'envoya une bouffée d'air d'antan
Je m'époumonai à siffloter pour me tenir éveillée
Serrant les poings, détricotant le temps,
Passant entre mes ongles, une à une, chaque maille du filet.
Rodes et Chrissette